PASSE SANS PORTE(VÔ MÔN QUAN)

ou

L’esprit du Zen à travers les koan

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Trịnh Đình Hỷ

 

        On peut schématiquement distinguer dans le Zen (en jap., Chán en chin., Thiền en viêt., Sôn en cor.) deux composantes: une composante pratique, la méditation, et une composante théorique, l’esprit Zen. Il y va de soi que la théorie et la pratique sont étroitement liées et ne peuvent être dissociées, et qu’elles sont aussi indispensables l’une que l’autre.

Sans pratique de la méditation, ce ne serait que de la pure philosophie, et sans esprit Zen, la méditation offrirait sans doute un autre visage, différent de celui de la méditation médicale visant à diminuer le stress, ou de la méditation utilisée dans d’autres traditions spirituelles. Méditer pendant de longues heures sans avoir l’esprit Zen, c’est un peu comme « polir une brique pour en faire un miroir », suivant l’expression de maître Nányuè (viêt. Nam Nhạc).

L’esprit du Zen est difficile, sinon impossible à définir et à comprendre intellectuellement. Tout au plus pourrait-on le sentir, s’en imprégner progressivement, et pour cela, la meilleure approche est probablement la lecture des histoires Zen, c’est-à-dire des anecdotes, des dialogues entre maîtres et élèves, transmis de génération en génération...

Parmi les recueils d’histoires Zen, il m’a semblé que Passe Sans Porte (Wúmén Guān, viêt. Vô Môn Quan) était le plus simple, le plus accessibleetsusceptible de vous intéresser. Je vous propose donc de l’aborder comme une petite promenade dans les allées fleuries d’un jardin Zen.

 

Petit rappel de l’histoire du Zen

Le Zen (Chán) est apparu en Chine au VIè s., s’est épanoui du VIIè au IXè s. sous la dynastie des Táng (Đường), puis a commencé sa période de déclin vers 845, date à laquelle le bouddhisme tomba sous le coup d’une brutale persécution, avec confiscation des terres et des biens, destruction des pagodes et des sutras, obligation des moines et moniales à retourner à la vie laïque. Le Chán, notamment celui du Sud, en raison de son mode de vie dépouillé au sein de la population et de l’absence d’écritures, fut la seule école bouddhique à être préservée.

Plus tard, lorsque le bouddhisme reçut de nouveau les faveurs impériales, notamment sous la dynastie des Sòng (Tống), le Chán acquit le statut de religion d’état, mais en même temps un formalisme et une forme de sectarisme interne, avec la division en 5 grandes « maisons », comme les « 5 pétales d’une fleur », d’après la prédiction, semble t-il de Bodhidharma. Il s’agit des écoles Línjì (jap. Rinzai, viêt. Lâm Tế), Cáodòng (jap. Soto, viêt. Tào Động), Yúnmén (viêt. Vân Môn), Fǎyǎn (viêt. Pháp Nhãn) et Guīyǎng (viêt. Qui Ngưỡng). La plupart de ces écoles ne duraient que quelques générations.

La plus vigoureuse, Línjì,ayant absorbé presque toutes les autres à la fin de la dynastie des Sòng, au XIIIè s., persiste encore de nos jours, ainsi que l’école Cáodòng,grâce à leur diffusion au Japon, en Corée et au Viêt Nam. A partir de la dynastie des Míng (Minh) (XIVè–XVIIè s.), le Chán se trouva complètement modifié en se mélangeant à la branche de la Terre Pure (Jìngdù, Tịnh Độ), devenue prédominante en Asie de l’Est.

Un bref rappel des lignées Chán nous permettra de suivre l’apparition de ces différentes écoles.

Il est généralement admis que le fondateur du Chán était Bodhidharma (470–543), un personnage semi-légendaire, venu de l’Inde du Sud par voie maritime jusqu’à Guǎngzhōu (Canton). Le 2è patriarche fut Huìkě (Huệ Khả)(487–593), le 3è Sēngcàn (Tăng Xán)(?– 606) et le 4è Dàoxìn (Đạo Tín)(580–651).

Un autre disciple de Sēngcàn fut Vinitaruci (Tỳ Ni Đa Lưu Chi)(?–594), qui sur les conseils de son maître partit vers le Sud et, en s’établissant à la pagode Dâu (province de Hà Bắc), fonda la 1ère Ecole Thiền du Vit Nam.

Le 5è patriarche fut Hóngrěn (Hoằng Nhẫn)(601–674), dont les deux élèves les plus brillants, Shénxiù (Thần Tú)(605–706) et le 6è patriarche Huìnéng (Huệ Năng)(638–713), se séparèrent pour fonder respectivement l’Ecole du Nord et l’Ecole du Sud. Cette dernière fut la seule à se développer, avec deux chefs de file: Nányuè Huáiràng (Nam Nhạc Hoài Nhượng)(677–744) et Qīngyuán Xíngsī (Thanh Nguyên Hành Tư)(660 – 740). Chacun eut un remarquable disciple, respectivement Mǎzŭ Dàoyì (Mã Tổ Đạo Nhất)(709–788) et Shítou Xīqiān (Thạch Đầu Hi Thiên)(700–790).

 Parmi les nombreux élèves de Mǎzŭ Dàoyì, deux se détachèrent du lot: Nánquán Pǔyuàn (Nam Tuyền Phổ Nguyện)(748-835), dont l’élève le plus brillant fut Zhàozhōu Cóngshěn (Triệu Châu Tòng Thẩm)(778-897), mais dont la lignée s’éteignit rapidement, et Bǎizhàng Huáihái (Bách Trượng Hoài Hải)(720-814), grand organisateur connu pour sa célèbre formule: « Un jour sans travail, un jour sans nourriture ». Le successeur de Bǎizhàng Huáihái, Huángbò Xīyùn (Hoàng Bá Hi Vận)(?–850)fut aussi un remarquable enseignant et avait comme disciple Línjì Yìxuán (Lâm Tế Nghĩa Huyền)(?–866), fondateur de l’Ecole Línjì (Lâm Tế).

Bǎizhàng Huáihái avait deux autres disciples: l’un, Guīshān Língyòu (Qui Sơn Linh Hựu)(771-853), qui avec son élève Yǎngshān Huìjì (Ngưỡng Sơn Huệ Tịch)(807-883), fonda l’Ecole Guīyǎng (Qui Ngưỡng),l’autre, Wúyāntōng (Vô Ngôn Thông)(759?-826), qui comme Vinitaruci auparavant, partit vers le Sud et, s’établissant à la pagode Kiến Sơ (province de Bắc Ninh), fonda la 2è Ecole Thiền du Vit Nam.

Quant à l’Ecole Línjì, après plusieurs générations, elle se divisa en deux branches, celle de Yángqí (Dương Kỳ)(992–1049) et celle de Huánglóng (Hoàng Long)(1002–1069). Wúmén Huìkāi (Vô Môn Huệ Khai)(1183–1260) était issu de la première branche, alors que la deuxième comptait parmi ses disciples Eisai Myōan (Vinh Tây Minh Am)(1141-1215), fondateur de l’Ecole Rinzai au Japon.

Parallèlement à la branche de Mǎzŭ Dàoyì, Shítou Xīqiān (Thạch Đầu Hi Thiên) développait une lignée conduisant à Dòngshān Liángjiè (Động Sơn Lương Giới)(807 – 869), qui avec son disciple Cáoshān Běnjì (Tào Sơn Bản Tịch)(840 – 901), alla fonder l’Ecole Cáodòng (Tào Động). Le plus célèbre de cette école était Dōgen Kigen (Đạo Nguyên Hi Huyền)(1200 – 1253), fondateur de l’Ecole Soto au Japon.

Une autre lignée de Shítou était celle conduisant à Xuěfēng Yìcún (Tuyết Phong Nghĩa Tồn)(822-908), lequel aura un disciple de 2è génération Fǎyǎn Wényì (Pháp Nhãn Văn Ích)(885-958), fondateur de l’Ecole Fǎyǎn (Pháp Nhãn). Xuěfēng Yìcún avait également comme disciple le réputé Yúnmén Wényǎn (Vân Môn Văn Yển)(864-949), fondateur de l’Ecole Yúnmén (Vân Môn). Enfin, l’un des élèves de Yúnmén était Xuědòu Chóngxiǎn (Tuyết Đậu Trùng Hiển)(980 – 1052), le maître de Thảo Đường (XIè s.), fondateur de la Ecole Thiền du Vit Nam.

 

Place de Passe Sans Porte dans la littérature Chán

Dans la première période du Chán, les maîtres n’avaient guère laissé d’enseignement par écrit, conformément à leur esprit libre et ouvert, « au–delà des écritures ». Certains, comme Yúnmén (Vân Môn), interdisaient même à leurs élèves de prendre des notes. Néanmoins, peu de temps après leur disparition, des élèves se mirent à consigner leurs sermons, leurs dialogues dans des recueils appelés « yǔlù » (viêt. ngữ lục). Ainsi trouve t-on des yǔlù de Mǎzŭ (Mã Tổ), de Zhàozhōu (Triệu Châu), de Lín Jì (Lâm Tế), de Yúnmén (Vân Môn), de Dòngshān (Động Sơn)...  Ces recueils, dont le plus célèbre est les Entretiens de Línjì (Línjì Lù, Lâm Tế Lục), sont relativement succincts et ne comportent aucun commentaire.

Dans la deuxième période par contre, sous la dynastie des Sòng (Tống), sont apparus des recueils différents par le contenu et la taille, ajoutant à la compilation d’histoires anciennes des commentaires de leur auteur. L’esprit de ces recueils est aussi différent. Ce sont des recueils de koan (en jap., gōng’àn en chin., công án enviêt.), véritables moyens d’enseignement, aidant à la réalisation des élèves. En raison d’un nombre croissant de disciples (jusqu’à 1000-2000 par maître), de nouveaux moyens d’enseignement sont devenus nécessaires, entraînant par leur application même un certain formalisme et une relative perte de fraîcheur et de créativité dans la relation de maître à élève.

Dans cette catégorie, on note 4 principaux recueils:

1. Recueil de la Transmission de la Lampe (Chuándēng , Truyền Đăng Lục),

2. Recueil de la Sérénité (Cōngróng Lù, Thung Dung Lục)

3. Recueil de la Falaise Turquoise (Bìyán Lù, Bích Nham Lục),

4. Passe Sans Porte (Wúmén Guān, Vô Môn Quan),

            ces deux derniers étant les plus connus.

            - Le Recueil de la Transmission de la Lampe est le plus ancien (1004) et le moins fiable sur le plan historique. Il s’agit d’une compilation d’anecdotes et de dialogues de plus de 600 maîtres par Dàoyuán (Đạo Nguyên) en 30 volumes.

- Le Recueil de la Sérénité fut rédigé au XIIè s. par Hóngzhì Zhèngjué (Hoành Trí Chính Giác), repris ensuite par Dàhuì Zōnggǎo (Đại Huệ Tông Cảo), puis complété par les commentaires de Wànsōng Xíngxiù (Vạn Tùng Hành Tú)en 1223. Il compte 100 gōng’àn, dont un tiers se recoupe avec les deux recueils suivants.

- Le Recueil de la Falaise Turquoise s’appuie également sur 100 gōng’àn choisis parmi les histoires rapportées dans le Recueil de la Transmission de la Lampe, suivis de commentaires poétiques par Xuědòu Chóngxiǎn (Tuyết Đậu Trùng Hiển) de l'école Yúnmén (Vân Môn), vers le début du XIe siècle. Enrichi de commentaires par Yuánwù Kèqín (Viên Ngộ Khắc Cần) de la lignée Yángqí (Dương Kỳ) de l’école Línjì (Lâm Tế),vers le début du XIIe siècle, puis brûlé par l’un des successeurs de ce dernier, le recueil fut finalement reconstitué au début du XIVe siècle. Il est composé de 10 volumes et contient des enseignements de presque tous les maîtres depuis Bodhidharma. Son contenu est riche, mais sa lecture est difficile, en raison de la surcharge par de nombreux commentaires, pratiquement à chaque ligne.

            - Passe Sans Porte est plus simple et accessible, plus souvent utilisé aussi. Rédigé par Wúmén (Vô Môn) en1229, il ne comporte que 48 gōng’àn, représentant les enseignements de grands maîtres, chacun suivi de commentaires et d’un court poème de l’auteur, réunis en un seul volume.

 

            Le contenu : les koan

Le koan (en jap., gōng’àn en chin., công án en viêt.), étymologiquement « cas, jugement public », est un problème que l’élève Chán reçoit de son maître, un sujet de méditation qu’il doit garder présent à l’esprit, sans recourir au raisonnement, à la logique, jusqu’à ce qu’un jour la solution lui apparaisse intuitivement, d’un seul coup, dans toute sa clarté.

Il s’agit habituellement d’une courte histoire, anecdote ou dialogue entre maître et élève, dont la particularité est d’être paradoxale, c’est-à-dire contraire au sens commun, à la logique (de para=contre, et doxa=opinion). Ce n’est donc pas une énigme à résoudre, ni une question à laquelle il faut fournir une réponse, mais plutôt d’un sujet d’exercice mental susceptible de conduire à l’illumination, à la compréhension profonde, à la sagesse (skrt. prajña, chin. hùi, viêt. huệ).

En pratique, le gōng’àn est un moyen, un stratagème considéré comme un complément utile à la méditation et souvent utilisé par l’école Línjì (Rinzai au Japon), alors que l’école Cáodòng (Soto au Japon) le considère plutôt comme secondaire. En quelques siècles, son usage s’est répandu parfois de façon excessive, et il est devenu une sorte de passage obligé, de sujet de thèse conventionnel, remplaçant la transmission directe “de coeur à coeur” entre maîtres et élèves, si particulière dans le Chán. Cet effet pervers a été critiqué par certains maîtres eux-mêmes, en mettant en garde le fait quechaque histoire s’était passée dans un contexte spécifique, dans une relation personnelle de maître à élève, et qu’il ne fallait surtout pas généraliser.

Parmi les gōng’àn, on distingue le huàtóu (jap. wato, viêt. thoại đầu), qui est un mot ou une expression clé, une question fondamentale posée par un maître. Etymologiquement huàtóu signifie « mot, tête ». On peut en citer quelques exemples classiques: « Quel est votre visage originel avant la naissance de vos parents? », «Lorsque l’on frappe des deux mains, un son se produit; quel est le son d’une main? », « Qui est-ce qui pense? », « Que faites-vous en ce moment? ». Un huàtóu peut se réduire à un seul mot (yí zì guān, viêt. nhất tự quan). Nous en verrons ultérieurement un exemple.

 

L’auteur, Wúmén

Wúmén (1183–1260) naquit à Hángzhōu (Hàng Châu)sous la dynastie des Sòng. Son nom complet, Wúmén Huìkāi (Vô Môn Huệ Khai) signifie littéralement: « sans porte, ouverture vers la sagesse ». Ayant reçu de son maître Yuèlín Shīguàn (Nguyệt Lâm Sư Quán) à Jiāngsū (Giang Tô) un gōng’ànsur le « Wú » de Zhàozhōu, il s’y appliquait pendantsix ans avec tellement d’assiduité qu’au lieu de se reposer entre les séances de méditation, il marchait de long en large dans le couloir et se cognait la tête contre un pilier pour se réveiller. Un jour, en entendant la cloche sonner l’heure du repas, il réalisa soudainement l’éveil et composa à cette occasion un poème:

« Un coup de tonnerre dans un ciel ensoleillé,

Tous les êtres sur terre ouvrent les yeux.

L’univers en un seul mouvement s'incline,

Le Mont Sumeru saute de joie et danse. »

Il courut annoncer la nouvelle à son maître, qui lui demanda: « Pourquoi diable cours-tu ainsi? ». Il poussa un cri, son maître fit de même, il cria encore, puis ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Peu après, Wúmén composa un quatrain ne comportant que le mot : « Wú wú wú wú wú, wú wú wú...»

Il reçut de son maître la transmission du Dharma dans la lignée Yángqí (Dương Kỳ) de l’école Línjì (Lâm Tế), et fut nommé Supérieur du temple Lóngxiáng (Long Tường), mais pendant de nombreuses années allait de temple en temple, portait des vêtements usés et sales, se laissait pousser barbe et cheveux et travaillait dans les champs. On le surnommait « Huìkāi, le moine laïc ». Il était excentrique, mais toujours gai, spontané et mettait un sens profond dans chaque mot simple. A 46 ans (1229), il composa Wúmén Guān (Passe Sans Porte) et le dédia à l’empereur. A 63 ans, il fonda un temple près du Lac de l’Ouest (Xīhú, Tây Hồ) où il espérait prendre tranquillement sa retraite, mais beaucoup de visiteurs venaient encore recevoir son instruction, jusqu’à sa mort à 77 ans.

 

 Présentation de Passe Sans Porte  

            Passe Sans Porte est la traduction française de Wúmén Guān (jap. Mumon kan, viêt. Cửa không cửa). Wúmén signifie « sans porte », mais c’est aussi le nom de l’auteur. Guān signifie « passage, porte, barrière ».

D’où la traduction habituelle : « passage sans porte, passe sans porte, gateless gate », où il faut imaginer un passage à travers un mur sans porte. Certains traduisent encore par « barrière sans porte, gateless barrier », car l'élève se trouve bloqué, sans aucune issue, sans possibilité de fuite. Pourtant, il n’y a pas de porte, et il ne tient qu’à lui, à lui seul de débloquer cette barrière, en découvrant qu’il n’y a en réalité pas de porte.

            Le recueil se compose de 48 courtes histoires, appelées « Règles »(chin. , viêt. tắc), où les principaux personnages sont des maîtres Chán et leurs élèves, mais aussi parfois le Bouddha lui-même, ses grands disciples et des Bodhisattvas. Les maîtres les plus souvent cités sont Zhàozhōu (Triệu Châu) 7 fois, Nánquán (Nam Tuyền) 4 fois, Yúnmén (Vân Môn) 4 fois, Dòngshān (Động Sơn) 3 foiset Wǔzǔ Fǎyǎn (Ngũ tổ Pháp Diễn) 3 fois.

Chaque histoire est suivie d’un commentaire par l’auteur sur un ton de badinerie, souvent critique et incisif, parfois irrespectueux. Provoquer le « grand doute » était l’un de ses procédés d'enseignement favoris. A la fin, chaque commentaire est conclu par un quatrain de 16 ou 20 mots, d’un ton volontiers humoristique et moqueur.

            Il est à noter que ces 48 histoires (ou Règles) ne suivent aucun ordre logique, et que leur interprétation est de difficulté très inégale. Certaines sont réputées incompréhensibles, mais il faut se rappeler qu’il est dans leur nature même de ne pas être expliquables et comprises intellectuellement...

Nous ne reviendrons pas sur certaines histoires très classiques et largement connues, comme celle de Kashyapa (Ca Diếp) répondant par un sourire au Bouddha qui tournoyait une fleur dans la main (Règle 6), celle du second patriarche Huìkě (Huệ Khả) debout sur la neige, tenant sa main coupée et priant Bodhidharma de pacifier son esprit (Règle 41), celle du doyen Míng qui lancé à la poursuite de Huìnéng (Huệ Năng) s’éveilla soudainement à la question du patriarche sur son visage originel (Règle 23), et celle où Huìnéng expliqua aux deux moines qui se disputaient que c’était leur esprit qui était agité, et non pas la bannière ni  le vent (Règle 29).

Pour les autres histoires, il ne nous a semblé guère envisageable de les passer toutes en revue, car ce serait trop long et fastidieux. Nous en choisirons donc les plus significatives et représentatives, celles qui permettraient au mieux d’approcher l’esprit Chán, en les regroupant par thèmes.

 

1) La négation

Dans Passe Sans Porte, la négation occupe une place primordiale, comme l’atteste le commencement du recueil par la Règle 1, « Le chien de Zhàozhōu (Triệu Châu) »:

« Un moine demanda à Zhàozhōu:‘Le chien a t-il aussi la nature-de-Bouddha?’ – Non! (Wú!,  jap. Mu!, viêt. Vô!)’, lui répondit Zhàozhōu ».   

Wúmén commenta ainsi cette réponse: « Ce mot est à lui seul le premier passage du Chán, un ‘passage sans porte’. Ceux qui arriveront à le franchir rencontreront non seulement Zhàozhōu, mais encore tous les maîtres, et marcheront avec eux main dans la main, verront avec les mêmes yeux, entendront avec les mêmes oreilles. Ne serait-ce pas là une grande joie ?(...) Soulevez la masse de doutes de votre corps tout entier, avec ses 360 os et ses 84000 pores, et portez ce mot dans votre esprit, jour et nuit. Ne le prenez pas comme une simple vacuité, ni dans le sens de l’être ou du non-être. Ce serait comme avaler une boule de fer chauffée au rouge, et que vous ne pourriez point recracher. Abandonnez vos fausses connaissances, vos fausses perceptions antérieures, et vous parviendrez au bout d’une longue pratique à l’unité naturelle de l’intérieur et de l’extérieur, à la compréhension profonde. Soudainement, telle une explosion ébranlant le ciel et la terre, comme si vous vous étiez emparé du long sabre du général Guānyǔ (Quan Vũ), vous tuez le Bouddha en le rencontrant, vous tuez les patriarches en les rencontrant, et vous jouissez de la grande liberté, même au bord du précipice entre la vie et la mort. 

Voici mon poème :

‘Nature-de-Bouddha chez le chien?

Sujet complet, ordre juste,

Sitôt répondu oui ou non,

Vous perdez la vie.’»

 

C’est sans doutel’un des plus célèbres gōng’àn, ayant provoqué l’éveil chez de nombreux pratiquants et maîtres Chán, non seulement Wúmén, mais encore Wúxué (Vô Học)(1226-1286), parti au Japon sous le nom de Bukko, et Hakuin (1689-1768), grand organisateur de la méthode des koan au Japon.

Comme le dit Wúmén, qui s’appuie sur sa propre expérience, le mot (non)par lui seul peut déclencherle processus d’illumination.

En chinois, il existe plusieurs mots exprimant la négation: (sinoviêt. ) comme ici, mais aussi fēi (phi), bù (bất) (actuellement de loin le plus usuel, avec méi (một), lorsque celui-ci précède yǒu (hữu), avoir, ou signifie « pas encore »), bié (biệt)(ne pas...), (mạc)(id., ancien). Il existe encore un mot souvent utilisé dans les sutras bouddhiques (comme wú, fēi, ): kōng (không), mais celui-ci, ayant comme composante xué (huyệt), qui signifie « grotte, cavité », a le sens de « vide, vacuité », d’où son utilisation pour traduire sunyata (skrt.).

 En écriture chinoise, est représenté par une barrière au-dessus d’un feu. La négation consiste donc à détruire cette barrière en le brûlant, éliminant l’obstacle et permettant un passage, sans pour autant créer le vide ni le néant. Le moine, à qui l’on a maintes fois répété que « tous les êtres vivants possédaient la nature de Bouddha », y croyait dur comme fer, jusqu’au moment où la réfutation brutaledu maître le désarçonna complètement.

En réalité, la signification du dans ce gōng’àn n’a aucune importance. Comme toute représentation symbolique, ce mot ne contient aucune vérité. A la même question posée une autre fois par un autre moine, Zhàozhōu aurait répondu par l’affirmative Yǒu (oui) ! La réponse dépend en fait de l’interlocuteur, ou plus exactement de la réaction que le maître veut provoquer chez l’élève.

Dès le moment où celui-ci cherche la réponse, hésite un seul instant entre non et oui, prend le non pour le néant, ou s’égare entre l’être et le non-être, il est déjà dans l’erreur. Le de Zhàozhōu est ainsi comparable à une épée qui oblige à lâcher, en tranchant net toute prise conceptuelle...

 

Un autre exemple de réponse négativeest donné dans la Règle 33, « Ni l’esprit ni le Bouddha »:

« Un moine demanda à Mǎzǔ (Mã Tổ): ‘Qu’est-ce que le Bouddha ?’- Ni l’esprit ni le Bouddha’, répondit celui-ci. »

La négation de la cette Règlene se comprend bien que si l’on la place à côté de l’affirmation de la Règle 30, « L’esprit même c’est le Bouddha »:

« Dàmēi (Đại Mai) demanda à Mǎzǔ (Mã Tổ): ‘Qu’est-ce que le Bouddha ?’- L’esprit même c’est le Bouddha’, répondit le maître ».

Ces deux réponses apparemment contradictoires montrent qu’en réalité leur sens n’a guère d’importance aux yeux du maître Chán. Il s’agit seulement de provoquer un choc psychologique chez l’interlocuteur par une réponse adaptée à son état d’esprit. Lorsque quelqu’un recherche le Bouddha à l’extérieur, le maître le ramène à son maître intérieur, à son mental. Lorsque quelqu’un s’accroche au mental, le maître sème chez lui le doute, et lui assène un coup assez fort pour lui faire lâcher prise.

Il nous a paru utile de mentionner ici un dialogue du Recueil de la Transmission de la Lampe, dans le chapitre Mǎzŭ :

« Un moine demanda à Mǎzŭ : ‘Pourquoi avez vous enseigné ‘l’esprit même c’est le Bouddha’ ?’- C’est pour consoler l’enfant qui pleure’, répondit le maître.- Et lorsqu’il a cessé de pleurer ?’- J’enseigneNi l’esprit ni le Bouddha’.- S’il y a quelqu’un qui ne trouve ni dans un cas ni dans l’autre, que lui enseignez-vous?’-‘Je lui dirais : Ni les êtres’. »

Je vous laisse méditer sur la subtilité de ces réponses, en vous rappelant qu’il est enseigné dans le bouddhisme Mahayana qu’« il n’y a aucune différence entre l’esprit, le Bouddha et les êtres » (sinoviêt. Tâm, Phật, chúng sanh, tam vô sai biệt).

 

Dans la Règle 3, « Le doigt de Gōuzhī (Câu Chi) », le mot n’est plus prononcé, mais l’action fut un retentissant :

« En réponse à des questions qu’on lui posait sur le Chán, Gōuzhī ne faisait que lever un doigt. Un jeune novice se mit à l’imiter, et à quelqu’un qui lui posa la question : ‘Quelle est l’essence de la Loi que prêche votre maître ?’, il leva lui aussi un doigt. Ayant appris cela, Gōuzhī prit un couteau et lui coupa l’extrêmité du doigt. Le novice s’enfuit en larmes, criant de douleur. Rappelé par Gōuzhī, il se retourna, et vit celui-ci levant le doigt à son tour. C’est alors qu’il réalisa soudainement l’illumination. A l’approche de sa mort, Gōuzhī confia à ses disciples: ‘J’ai obtenu le Chán à l’aide d’un seul doigt, de mon maître Tiānlóng (Thiên Long), et je l’ai utilisé inépuisablement toute ma vie.’»

Il est certain que l’illumination du jeune novice n’avait rien à avoir avec son doigt, ni celui de Gōuzhī (Câu Chi). Ce serait plutôt le contraste frappant entre le doigt indemne du maître et celui coupéde l’élève, qui aurait permis comme un éclair de transpercer le nuage épais de son ignorance. L’action du maître, à la manière de Mǎzŭ, fut brutale certes mais salutaire. Sans celle-ci, l’élève serait longtemps resté attaché au doigt et dans l’erreur de « prendre le doigt pour la lune », pour reprendre une expression bouddhique bien connue.

 

2) La négation de la négation

L’histoire suivante ne figure pas parmi les 48 gōng’àn du Recueil, mais elle est édifiante, car elle nous montre que dans l’esprit du Chán, l’attachement à la négation même doit être abandonné:

« Un moine rendit visite à Zhàozhōu et lui dit: ‘Je n’ai rien apporté avec moi.’- Abandonnez’, répondit le maître. – Mais je n’apporte rien. Que dois-je abandonner?’- Si vous ne pouvez rien abandonner, allez-vous en en l’emportant.’ Sur ces mots, le moine réalisa l’éveil.»

Dans cette histoire, le moine était préoccupé par le fait de venir les mains vides, il était attaché à ce rien, et ce fut la réponse de Zhàozhōu, niant la négation, qui lui a fait réaliser que ce rien n’existait vraiment pas.

 

3) Le piège de la dualité

La Règle 5, « Xiāngyán (Hương Nghiêm) et l’arbre » nous donne un exemple d’une impasse devant une dualité :

« Le maître Xiāngyán dit : ‘Supposons qu’un homme soit suspendu à un arbre au-dessus d’un précipice, se tenant uniquement par les dents à une branche, sans pouvoir se servir de ses mains ni de ses pieds. Et que quelqu’un lui demande alors: ‘Quel est le sens de la venue en Chine du premier patriarche?’ En ne donnant pas de réponse, il contrevient à l’attente du questionneur. En répondant, il tombe dans le précipice et perd la vie. Que doit-il faire alors? »

Le commentaire de Wúmén pour cette Règle se termina par un poème acerbe : 

« Xiāngyán crée vraiment des histoires,

Sa méchanceté est sans limites,

Il rend le pauvre moine muet,

Et fait jaillir des yeux de démon de tout son corps ».

Bien sûr, il ne peut y avoir de réponse valable. L’élève se retrouve dans une impasse, et c’est ce que recherche le maître, en lui faisant réaliser que l’impasse résultant de cette dualité n’est qu’une création de toute pièce, une illusion comme tant d’autres, et dont l’auteur n’est que lui-même.

On raconte qu’un moine du nom de Hǔtóu (Hổ Đầu) réagit ainsi en sortant du rang des auditeurs: « Je ne parle pas du cas où l’on est déjà sur l’arbre, mais je vous prie de répondre dans le cas où l’on n’est pas encore sur l’arbre ». Xiāngyán se mit alors à rire à haute voix.

 

Dans la Règle 43, « Le bâton de bambou de Shǒushān (Thủ Sơn) », la question est l’appellation de l’objet-même :

« Le maître Shǒushān montre un bâton de bambou aux moines et dit: ‘Si vous appelez ceci un bâton de bambou, vous vous compromettez. Si vous ne l’appelez pas bâton de bambou, vous êtes dans l’erreur. Alors, comment l’appelez vous?’ »

En pressant ses élèves de répondre, le maître les accule dans une impasse : impossible d’utiliser la parole, impossible de ne pas l’utiliser. Nommer l’objet, c’est s’attacher au nom, ne pas le nommer, c’est nier la réalité. La seule façon de s’en sortir, c’est d’aller au-delà de cette dualité, soit en s’exprimant sans parole, soit en démontrant que la question est absurde.

 

4) S’exprimer sans parole

La Règle 40, « Guīshān (Qui Sơn) renverse la carafe d’un coup de pied » illustre très bien la compréhension au-delà de la parole dans l’esprit Chán :

« Guīshān était chargé de la cuisine dans la communauté des moines du maître Bǎizhàng (Bách Trượng). Celui-ci devait désigner parmi ses élèves le maître du Mont Dàguī (Đại Qui). Il convoqua Guīshān et le Supérieur Huālín (Hoa Lâm) afin de départager par un débat devant la communauté. Bǎizhàng posa une carafe d’eau par terre et demanda: ‘Sans l’appeler carafe, comment le désignez-vous ?’ – On ne peut l’appeler un bout de bois’, répondit le Supérieur. Bǎizhàng se tourna vers Guīshān. Celui-ci, sans dire un mot, renversa la carafe d’un coup de pied et s’en alla. Bǎizhàng conclut en riant : ‘Le Supérieur a été battu par la montagne (shān)’, et nomma celui-ci fondateur de Dàguī. » 

Ainsi, alors que le Supérieur Huālín se trouvait encore englué dans la description verbale, Guīshān est parvenu à s’affranchir de toute entrave, dépassant la parole, l’affirmation et la négation, en désignant d’un simple geste l’objet, qui est immédiatement reconnu sans ambiguité.

 

5) L’absurdité de la question

L’autre façon de répondre est de démontrer l’absurdité de la question, ou bien le caractère illusoire du choix entre deux réponses. A question absurde, réponse absurde, pourrait-on dire.

Ainsi le montre la fameuse Règle 14, « Nánquán (Nam Tuyền) fend le chat » :

« Comme deux groupes de moines des salles Est et Ouest se disputèrent un chat, le maître Nánquán saisit l’animal et leur dit: ‘Si vous pouvez dire un mot, il aura la vie sauve. Sinon, je le fendrai avec cette épée’. Les moines restaient muets. Alors Nánquán fendit le chat. Le soir, lorsque Zhàozhōu rentra, le maître lui raconta l’histoire et lui demanda comment il aurait réagi. Sans dire un mot, Zhàozhōu se déchaussa, posa une chaussure sur sa tête et s’en alla. Nánquán soupira : « Si tu avais été là, tu aurais pu sauver le chat ».

Dans cette histoire, des âmes sensibles seraient sans doute choquées par la cruauté de Nánquán envers le chat: comment un maître Chán, disciple de Bouddha, pourrait-il tuer un animal pour éprouver ses disciples? Qu’en est-il de la compassion, de l’amour universel? Certes, on peut aussi se poser la question de la véracité de cette anecdote. Ne s’agit-il pas plutôt d’un objet, par exemple d’une figurine en bois que les moines se disputaient et que le maître détruirait si ceux-ci échouaient dans leur plaidoierie? En tout cas, il n’est pas question ici de moralité, et dans l’esprit du Chán, l’attachement à la moralité est lui-même une entrave à la réalisation de la nature de soi.

Les disciples se retrouvent là encore devant un choix impossible, on pourrait dire cornélien: si l’un d’eux ouvrait la bouche pour réclamer l’appartenance du chat à son groupe, ou même pour implorer la vie sauve au chat, il serait dans l’erreur; ne rien dire conduirait à ce que l’on sait...

Dans ce gōngàn, il faut surtout voir que le geste farfelu et excentrique de Zhàozhōu était en réalité une parade extrêmement habile, comme un coup d’épée arrêtant net l’attaque du maître: à question absurde, réponse absurde; à action de fou, réaction de fou. Par son geste, Zhàozhōu a montré que l’action de tuer le chat était aussi absurde et folle que de mettre une chaussure sur la tête. Le maître a reconnu sa défaite, et le chat aurait pu être sauvé...

 

Dans une anecdote rapportée dans le Recueil de la Sérénité (Cōngróng Lù, Thung Dung Lục), Règle 91, on retrouve le même esprit:

« Un jour le fonctionnaire Lùgèng (Lục Cánh) demanda à Nánquán (Nam Tuyền): ‘Si j’élève une petite oie dans une bouteille et qu’elle grossit de jour en jour jusqu’à ne plus pouvoir sortir, alors comment pourrais-je faire pour la sortir vivante sans casser la bouteille?’ Nánquán répondit doucement: ‘Ecoutez, monsieur...’ puis cria: ‘L’oie est déjà sortie!’ Le fonctionnaire réalisa immédiatement l’éveil ».

Comme dans l’histoire précédente, à une question imaginaire on ne peut opposer qu’une réponse imaginaire, et la meilleure façon de dissiper une illusion est de l’opposer à une autre, encore plus illusoire. Puisque vous l’avez imaginée dans la bouteille, il suffit de l’imaginer hors de la bouteille; quel est le problème? Réalisant cela, l’interlocuteur se retrouve soudain comme arraché d’un rêve...

 

6) Les réponses incongrues : un rappel à l’instant présent

Dans de nombreuses histoires Chán, les réponses des maîtres apparaissent comme incongrues, farfelues, absurdes ou complètement à côté de la question.

Dans la Règle 18, « Dòngshān (Động sơn) et les trois livres de lin » :

« Un moine demanda au maître Dòngshān: ‘Qu’est-ce que le Bouddha ? – Trois livres de lin’, répondit celui-ci ».

 

Dans la Règle 37,« Le cyprès dans le jardin » :

« Un moine demanda à Zhàozhōu:‘Quel est le sens de la venue d’Occident du premier patriarche ? - Le cyprès dans le jardin’, répondit le maître ». 

 

Dans la Règle 24,« Quitter la parole », la réponse est moins sèche, empreinte de poésie :

«Un moine demanda au maître FēngXué (Phong Huyệt): ‘La parole réduit, le silence sépare. Comment passer sans commettre d’erreur ?’ – Je me souviendrai toujours de l’atmosphère de Mars dans le Jiāngnán (Giang Nam), où les perdrix chantent parmi des centaines de fleurs parfumées’, répondit celui-ci. »

Il s’agit d’un vers du grand poète Dùfǔ (Đỗ Phủ) de la dynastie des Táng (Đường), permettant d’aller au-delà de la parole et du silence, et dans une certaine mesure de calmer l’angoisse de l’interlocuteur par la belle atmosphère sereine ainsi évoquée.

Les réponses des maîtres Chán, aussi incongrues soient-elles, ne sont guère choisies par hasard. Elles visent à la fois à démontrer à l’interlocuteur l’impossibilité d’une réponse logique (l’entraînant dans le cercle infernal de la conceptualisation et de la parole), et à le faire revenir au présent immédiatement accessible (comme le cyprès que l’on voit dans le jardin, ou 3 livres de lin dont maître vient peut-être de parler, ou le poème qui lui revient à l’esprit).

 

Ainsi dans la Règle 7,« Zhàozhōu (Triệu Châu):‘ Va laver ton bol !’», le maître rappelle à l’élève que le Chán n’est rien d’autre que l’attention à l’instant présent :

« Un moine demanda à Zhàozhōu:‘ Je viens d’entrer au monastère. Maître, enseignez-moi, je vous prie.’ – As-tu pris la soupe de riz ? – Oui. – Alors, va laver ton bol.’ Le moine saisit immédiatement ».

Une anecdote semblable raconte la rencontre entre Zhàozhōu et Línjì (Lâm Tế). Celui-ci était en train de se laver les pieds. « Quel est le sens de la venue d’Occident du premier patriarche? » demanda Zhàozhōu. – Vous voyez bien, je me lave les pieds », répondit Línjì. Le premier fit mine de tendre l’oreille en s’avançant vers l’autre. – Il faut que je vous verse une deuxième écope d’eau sale, dit Línjì. » Sur ce, Zhàozhōu s’en alla.

 

Ainsi, tous les maîtres Chán n’ont de cesse que de rappeler à l’élève de revenir au présent, de vivre pleinement l’instant, de garder l’attention (niàn, viêt. niệm, jap. nen, pal. sati, skrt. smrti), c-à-d étymologiquement le « mental au présent ». Ceci n’est autre que l’observance de la juste attention (pal. samma–sati, viêt. chánh niệm), qui fait partie de l’Octuple Juste Sentier enseigné par le Bouddha Gotama.

Pour le pratiquant Chán, il n’y a rien qui ne soit Chán. Non seulement le lin, le cyprès, le bol de soupe, l’eau pour laver les pieds, mais toutes choses de ce monde, les montagnes, les fleuves, la terre, le rayon de soleil, tout ce que l’esprit perçoit sont Chán...

 

7) Le mental ordinaire, c’est la voie

C’est ce qu’illustre la Règle 19, «Le mental ordinaire, c’est la voie » (sinoviêt: Bình thường tâm thị đạo) :

« Zhàozhōu demande à Nánquán: ‘Qu’est-ce que la voie ?’- Le mental ordinaire, c’est la voie, répondit le maître. – Alors, comment l’atteindre ? – Si vous avez l’intention de l’atteindre, vous êtes déjà dans l’erreur. – Sans intention, comment savoir si c’est la voie ?- La voie n’appartient ni à la connaissance ni à la non-connaissance. Connaissance est illusion, non-connaissance est indifférence. Si vous atteignez la voie, c’est comme si vous vous trouvez devant la grande vacuité, comment discriminer le vrai et le faux par des mots ?’ Sur ce, Zhàozhōu réalisa immédiatement l’illumination ».

Wúmén commenta cette règle par le poème :

« Au printemps, des fleurs par centaines, en automne la lune,

En été le vent frais, en hiver la neige.

Lorsqu’aucun souci ne vient troubler le mental,

Ce n’est que du beau temps sur la terre. »

 

Rien ne paraît plus simple que d’avoir un « mental ordinaire », simple, naturel, détaché, et pourtant ce n’est pas chose aisée, car le mental se complique souvent et il faut une pratique assidue pour le rendre « ordinaire ». Tout en ne le recherchant pas, car rechercher, comme le dit Nánquán, c’est déjà s’encombrer de pensées inutiles, c’est déjà être dans l’erreur.

C’est aussi l’enseignement du roi Trần Nhân Tông, patriarche fondateur de l’Ecole Thiền viêtnamienne Trúc Lâm Yên Tử (Forêt de Bambous)(XIIIè s.) à travers un long poème se terminant par un quatrain:

« Pour vivre heureux la Voie dans le monde, il suffit de s’adapter.

Manger quand on a faim, dormir quand on a sommeil,

Ne point rechercher ailleurs le trésor qui est en soi.

En gardant le non-mental devant toute chose, à quoi bon demander ce qu’est le Thiền? » (sinoviêt. Cư trần lạc đạo thả tùy duyên, Cơ tắc xan hề, thốn tắc miên, Gia trung hữu bảo hưu tầm mích, Đối cảnh vô tâm mạc vấn thiền).

 

8) Ne pas s’attacher aux apparences

L’un des grands défauts humains est l’attachement à l’apparence et aux attributs imaginaires de divers personnages, notamment de ceux qu’ils respectent le plus.

C’est ce que la Règle 21, « Yúnmén (Vân Môn): ‘bout de crotte séchée’» dénonce :

« Un moine demanda à Yúnmén:‘Qu’est-ce que le Bouddha ?’ – Un bout de crotte séchée, répondit le maître. »

Aux yeux d’un croyant monothéiste, cela aurait été considéré comme un blasphème. Aux yeux d’un bouddhiste orthodoxe fervent, une réponse grossière, inconvenante et irrespectueuse. Mais dans le Chán, il n’est pas rare d’entendre d’autres réponses surprenantes, comme: « Ne rêve pas à haute voix! », ou bien  « Rince-toi la bouche après ces mots qui puent », ou encore « Verse-moi de l’eau pour que je me lave les oreilles »...

En réalité, là encore, la réponse n’a aucun sens en elle-même. Elle vise seulement à ébranler l’interlocuteur, en assénant un coup à ses préjugés. En posant la question, le moine avait probablement déjà en tête l’image d’un Bouddha parfait, pur, sacré, etc., une sorte de Bouddha imaginaire, imposteur qu’il s’agit de démasquer, de démollir, en le traitant de « bout de crotte séchée». C’est cela « tuer le Bouddha » (tuer dans le sens figuré bien sûr), le faux Bouddha que nous avons tous construit dans l’esprit, et que nous tenons pour vrai.

 

Ce dialogue n’est pas sans rappeler un propos de Tuệ Trung Thượng Sĩ, l’un des plus grands maîtres Thiền viêtnamiens,  précepteur du patriarche Trần Nhân Tông :

« Un moine demanda à Tuệ Trung Thượng Sĩ : ‘Comment purifier le corps du Dharma?’- Aller et venir dans la pisse de buffle, tourner et retourner dans les crottes de cheval’, répondit le maître ».

Cela paraît grossier, vulgaire et pourtant, pour celui qui a réalisé sa propre nature, uriner, déféquer sont aussi naturels que manger et boire, et une crotte de cheval n’est pas plus impur ni plus pur qu’une fleur de lotus. Pureté et impureté ne sont que des fruits de la discrimination intellectuelle, des illusions produites par l’esprit humain.

Comme l’enseignait le 6è patriarche Hùi Néng (Huệ Năng): « Quand vous chérissez la notion de pureté et que vous vous y attachez, vous changez la pureté en fausseté. La pureté n'a ni forme ni contour, et quand vous définissez une forme incarnant la pureté, vous vous opposez à votre propre nature, vous êtes esclave de la pureté. »

Quelques générations après, le maître Huángbò Xīyùn (Hoàng Bá Hi Vận), déclara de même: « Si l’on considère le Bouddha sous l’aspect pur, éveillé et complètement délivré, et les êtres vivants sous l’aspect souillé, ignorant et soumis au cycle de renaissance, on ne pourra jamais atteindre l’éveil, même après un nombre incalculable de kalpas. C’est parce que l’on s’attache à l’apparence. »

Finalement, en remontant aux sources, on s’aperçoit que le Sutra du Diamant (Vajracchedika–prajñaparamita-sutra, Kinh Kim Cương), qui est l’un des textes fondamentaux du Chán, nous apprend déjà à nous méfier de l’apparence des choses et à nous détacher d’elle: « Tout ce qui possède une apparence est illusoire » (chin. Fán suǒ yǒu xiàng jiē shì xūwàng; sinoviêt. Phàm sở hữu tướng giai thị hư vọng). On y trouve aussi une mise en garde sur l’attachement aux représentations et aux incantations du Bouddha lui-même: « Celui qui me recherche dans l’image, qui me sollicite dans le son, suit une voie erronée et ne pourra pas voir le Tathagatha » (chin. Ruò yǐ sè jiàn wǒ, yǐ yīnshēng qiú wǒ, shì rén xíng xiédào, bù néng jiàn Rúlái; sinoviêt. Nhược dĩ sắc kiến ngã, dĩ âm thanh cầu ngã, thị nhân hành tà đạo, bất năng kiến Như Lai). Et aussi bien sûr la célèbre phrase qui a déclenché l’éveil chez Huìnéng (Huệ Năng) et le roi Trần Thái Tông: « Ne pas laisser son mental s’attacher à quoi que ce soit » (chin. Yīng wú suǒ zhù ér shēng qí xīn, sinoviêt. Ưng vô sở trụ nhi sanh kỳ tâm).

 

Conclusion

Au terme de cette présentation, forcément incomplète puisque volontairement limitée aux 14 Règleslesplus représentatives sur les 48 du Recueil, nous sommes conscients d’être loin d’avoir épuisé le riche contenu de cette oeuvre majeure du Chán.

Pour la clarté de l’exposé, nous avons dû classer artificiellement les gōng’àn en plusieurs thèmes, porteurs de messages différents: la négation Wú; la négation de la négation; le piège de la dualité; s’exprimer sans parole; l’absurdité de la question; les réponses incongrues: un rappel au présent; le mental ordinaire, c’est la voie; ne pas s’attacher aux apparences.

Le même message peut se retrouver dans plusieurs histoires, et une même histoire peut contenir plusieurs messages. On y ressent toutefois une unité profonde, un même état esprit qui plane ici et là. Qu’il s’agisse de maîtres Chán chinois, Zen japonais, Sôn coréens, ou Thiền viêtnamiens, tous enseignent de la même façon et tiennent les mêmes propos, à peu de choses près.

Cet esprit Chán, on peut le ressentir à travers les gōng’àn, s’en imprégner petit à petit de façon intuitive, mais on n’arrivera jamais à le comprendre intellectuellement, en les travaillant, en les décortiquant, à coups de raisonnement, de logique.

Au bout du compte, on s’aperçoit qu’il n’existe en réalité aucune moralité dans les anecdotes, aucun sens dans les mots, aucun enseignement dans les gestes. Rien, sinon la prise de conscience de ce rien, que le maître cherche à provoquer chez l’élève, ce « vide insondable et rien de sacré », selon l’expression de Bodhidharma.

Dans le fond, il s’agit toujours d’apprendre à lâcher prise, à détruire, à abandonner les préjugés, les discriminations, les illusions liées aux apparences, à éviter les concepts, les idées, les jugements de valeur, à refuser les choix, la dualité, l’affirmation comme la négation... Pour arriver à vivre simplement, naturellement, à l’instant présent, serein et libre de toute entrave.

 

L’extrait suivant d’un sermon de maître Man-An, de l’école japonaise Soto au début XVIIè s., pourrait résumer ainsi l’esprit Zen:

« Pour atteindre la bouddhéité, il suffit de voir sa nature essentielle.(...)

Il n’y a en cela pas de différence entre les esprits perspicaces et les esprits engourdis, entre les riches et les pauvres, entre les religieux et les laïcs, les Orientaux et les Occidentaux, les anciens et les modernes. Cela ne dépend que de savoir si le désir d’illumination est présent ou non, et si les instructions et les enseignements sont erronés ou exacts.

Même si vous recevez les instructions d’un millier de Bouddhas et d’une myriade de maîtres Zen, si vous ne continuez pas vous-même à demeurer en pleine conscience avec sérénité et unité de foi, vous ne pourrez jamais voir la nature essentielle et vous éveiller à la Voie.(...)

Plus encore, il faut comprendre que l’invocation des noms de Bouddha et la récitation des sûtras sont également des glaives acérés pour trancher les racines de la compulsion. Ne croyez pas qu’en faisant des efforts pour accumuler du mérite vous renaîtrez après la mort pour voir le Bouddha. Ne cherchez ni résultats, ni récompenses, ni grâces, ni bénédictions. Il faut vous détacher du merveilleux.(...)

Si vous désirez atteindre un rapide accomplissement, brandissez le précieux glaive offert par l’esprit-roi et marchez directement en face de vous: si vous rencontrez les Bouddhas, tuez les Bouddhas, si vous rencontrez les maîtres Zen, tuez les maîtres Zen, si vous rencontrez vos parents, tuez vos parents; si vous rencontrez l’ensemble des êtres humains, tuez l’ensemble des êtres humains. Massacrez totalement tout ce qui est animé, tout ce qui est inanimé, toutes les formes et toutes les apparences, les montagnes, les rivières et la terre, tous temps et tous lieux, le bien et le mal, le vrai et le faux, et quoi que ce soit d’autre qui franchisse la porte des six sens et les chemins des sept consciences.(...) Arrivé à ce point, vous ne douterez plus que les Bouddhas et les êtres humains, l’illumination et la souffrance, le samsâra et le nirvâna, le paradis et l’enfer, ne sont tous que des illusions. »

Attention cependant! L’illumination n’est qu’un début, pas une fin. Prenez l’exemple de grands maîtres comme Nánquán, Zhàozhōu, Yúnmén, etc.,qui se sont éveillés très tôt et qui pourtant continuaient encore inlassablement à se perfectionner en pratiquant, en voyageant et en s’instruisant auprès d’autres maîtres et aussi en enseignant, car enseigner est aussi une façon de se perfectionner.

Comme le dit maître Dàhuì Zōnggǎo (Đại Huệ Tông Cảo): « Lorsque soudainement vous vous éveillez, bien que vous soyez identique à Bouddha, l’énergie de nombreuses habitudes de vie est profondément inscrite en vous. Bien que le vent s’arrête, les vagues continuent de s’agiter, et les pensées continuent à vous envahir. Hier et maintenant, ceux qui ont des facultés pénétrantes s’éveillent sans trop d’efforts, ensuite, ils deviennent suffisants et négligent de cultiver la Voie plus en avant. Pour finir, ils retournent à leur ancienne confusion, incapables d’échapper à leurs routines circulaires. »

Le maître coréen Chinul (XIIè-XIIIè s.) ajouta encore: « Après l’éveil, il ne faut pas cesser de vous observer et de vous examiner. Lorsque des pensées errantes se lèvent soudain, ne les suivez pas. Réduisez-les, réduisez-les, jusqu’à ce que vous atteigniez le point de non-conception qui est à lui seul la fin ultime.(...) L’illumination subite et la culture graduelle sont comme les deux roues d’un chariot, si une roue manque, le chariot ne peut pas avancer. »         

                                                                                  

                                                                                              Trịnh Đình Hỷ

                                                                                              Olivet, 28/11/2010

 

 

Biographie sommaire de quelques maîtres Chán

 

* Huángbò Xīyùn (Hoàng Bá Hi Vận)( ? – 850) natif du Fújiàn (Phúc Kiến), occupe une place charnière dans le Chán puisqu’il était le successeur du Dharma de Bǎizhàng et maître de Línjì, et qu’il a traversé la période critique de la persécution du bouddhisme, sans doute protégé par l’un de ses élèves, haut fonctionnaire et futur premier ministre, Péixiū (Bùi Hưu). D’une stature impressionnante (il mesurait 2 m), il fut ordonné moine jeune, et connaissait bien les textes classiques et les sutras, mais s’élevait contre les pratiques traditionnelles reposant sur les écritures et insistait sur la nécessité d’une expérience directe. Sa manière d’enseigner était rude, comme Mǎzŭ, n’hésitant pas à crier et à donner des coups à ses élèves. Installé au Mont Huángbò, il attirait par sa renommée de nombreux élèves (jusqu’à 500 moines et un millier de laïcs, semble t-il), et à sa mort son enseignement fut consigné par écrit par Péixiū en deux recueils : Principes essentiels de la transmission de l'esprit (Chuánxīn Fǎyào, Truyền Tâm Pháp Yếu) et Entretiens de Wǎnlíng (Wǎnlínglù,Uyển Lăng Lục).

 

* Línjì Yìxuán (Lâm Tế Nghĩa Huyền)( ? – 866) était natif de Cáozhōu (Tào Châu), dans la province de Shāndōng (Sơn Đông). Non satisfait par ses études sur le bouddhisme depuis le plus jeune âge, il parcourut plus de 2000 km pour trouver le maîtreHuángbò Xīyùn (Hoàng Bá Hi Vận) dans la province de Jiāngxī (Giang Tây). Ayant réalisé l’illumination lorsqu’il reçut des coups de bâton de Huángbò, il continuait à pratiquer avec celui-ci des joutes sur le Dharma, jusqu’au jour où il le quitta pour s’installer dans le temple Línjì dans la province de Héběi (Hà Bắc). Il attirait alors de plus en plus d’élèves et fonda, malgré la persécution du bouddhisme de l’époque, l’école Línjì, qui peu à peu devenait la plus influente de la Chine, puis du Japon (Rinzai). Il fut considéré comme l’un des maîtres les plus créatifs et dynamiques, utilisant à la manière de Mǎzŭ et de Huángbò des méthodes d’enseignement abrupts et durs tels les cris, les coups, et en même temps des propos iconoclastes, encourageant ainsi ses élèves à se libérer de l’influence des maîtres et des concepts doctrinaux, de façon à réaliser leur propre nature.

 

* Mǎzŭ Dàoyì (Mã Tổ Đạo Nhất)(709–788) est considéré comme l’un des plus grands et influents maîtres Chán de la dynastie Táng (Mǎzŭ signifiant le patriarche ). Originaire de Sìchuān (Tứ Xuyên), il étudia d’abord auprès du 6è patriarche Hùinéng, puis devint disciple du successeur de ce dernier Nányuè Huáiràng (NamNhạc Hoài Nhượng) avant d’enseigner dans le Jiāngxī (Giang Tây) à un grand nombre de disciples (on en compterait 800) jusqu’à sa mort à 80 ans. Il avait, dit-on « des yeux brillants d’un tigre, la démarche d’un buffle, la langue touchant le bout du nez, et une double image de roue sur la plante des pieds », et surtout une méthode d’enseignement novatrice et non conventionnelle, visant à réveiller brusquement l’élève de sa pensée routinière et à faire réaliser sa propre nature (jiànxìng, kiến tánh). Il peut s’agir de cri (, sinoviêt. hát, jap. katsu), d’interpellation, de coups de poing, de bâton, etc. Ses anecdotes et dialogues ont été rapportées dans Jiāngxī Dàoyì Chánshī Lù (Giang Tây Đạo Nhất Thiền sư lục, Recueil du maître Chán Dàoyì de Jiāngxī), ainsi que les livres cités au début.

 

* Nánquán Pǔyuàn (Nam Tuyền Phổ Nguyện)(748-835) fut un grand maître Chán, originaire de Zhèngzhōu (Trịnh Châu), dans la province de Hénán (Hà Nam). Moine à 30 ans, il voyageait beaucoup avant de rencontrer son maître Mǎzŭ Dàoyì (Mã Tổ Đạo Nhất). A 50 ans il se retira dans la montagne Nánquán, avant d’être prié par un mandarin de revenir dispenser des cours à des élèves de plus en plus nombreux, et mourut à 87 ans. Zhàozhōu Cóngshěn (Triệu Châu Tùng Thẩm) fut le plus brillant parmi eux.

 

* Yúnmén Wényǎn (Vân Môn Văn Yển)(864-949) était un maître éminent, fondateur de l’une des 5 écoles du Chán tardif. Né près de Sūzhōu (Tô Châu), ordonné moine à 20 ans dans un temple de l’école Vinaya, il alla ensuite frapper à la porte d’un maître Chán, Mùzhōu (Mục Châu) lequel lui recommanda d’étudier chez le maître Xuéfēng Yìcún (Tuyết Phong Nghĩa Tồn) à Fúzhōu (act. Fújiàn, Phúc Kiến), auprès de qui il réalisa l’illumination. A la mort de Xuéfēng, il se mit à voyager beaucoup, puis s’établit au temple Língshù (Linh Thụ). Lassé ensuite par le nombre croissant de visiteurs attirés par sa réputation, il se retira à 64 ans dans un temple de la montagne Yúnmén, jusqu’à sa mort à 85 ans. Yúnmén fut considéré comme un maître Chán particulièrement brillant et d’une grande finesse,ayant formé un grand nombre d’élèves et laissé de nombreux gōng’àn. Ses réponses les plus remarquables étaient réduites à un seul mot, mais remplissant 3 conditions fondamentales : 1) couvrant tout l’univers; 2) tranchant le courant de l’ignorance ; 3) poursuivant la question comme une vague. Pourtant, il détestait les mots et interdisait à ses élèves de prendre des notes, concevant que seule l’expérience comptait et que toute explication était inutile et parfois même nuisible.

 

* Zhàozhōu Cóngshěn (Triệu Châu Tòng Thẩm)(778-897) était natif de Cáozhōu (Tào Châu), dans la province de Shāndōng (Sơn Đông) et fut ordonné moine très jeune. Il voyageait déjà beaucoup avant de rencontrer à 18 ans son maître Nánquán Pǔyuàn (Nam Tuyền Phổ Nguyện) (748–835), l’un des successeurs de Mǎzǔ Dàoyì (Mã Tổ Đạo Nhất)(709–788). Zhàozhōu est considéré comme le plus original des maîtres Chán de la période troublée de la fin de la dynastie Táng (Đường). Il avait la parole douce, utilisait des mots courts et simples, accessibles à tous, mais ayant l’effet aussi tranchant quune épée. On lui doit de montrer que l’on pouvait accéder à la sagesse tout en menant une vie ordinaire, et que la réalisation de sa nature profonde n’est qu’une étape dans la voie du Chán. Après la mort de son maître, il voyageait pendant de longues années dans le Nord du pays, rendant visite à d’autres moines, et à 80 ans s’établit au vieux temple Guānyīn (Quan Âm) àZhàozhōu, enseignant encore à un petit groupe de moines jusqu’à sa mort à 120 ans. Malgré l’extinction de sa lignée, en faveur de celle du condisciple de son maître, Bǎizhàng Huáihǎi (Bách Trượng Hoài Hải)(720-814), moins brillant mais grand organisateur, auteur d’un code de règles monastiques Chán (Bǎizhàng qīngguī, Bách Trượng Thanh Qui) célèbre par la formule « un jour sans travail, un jour sans nourriture »(yī rì bú zuò, yī rì bú shí; sinoviêt. nhất nhật bất tác, nhất nhật bất thực), Zhàozhōu a laissé une empreinte profonde dans l’enseignement du Chán, comme en témoignent un grand nombre de gōng’àn rapportant ses répliques:12 dans le Recueil de la Falaise Turquoise et 7 dans Passe Sans Porte.

 

 

Références

 

1) Brosse Jacques

Les maîtres Zen

Editions Albin Michel (coll. Spiritualités vivantes), Paris, 2001

2) Cleary Thomas

Les secrets de la méditation – Sept textes essentiels des maîtres historiques du Chan et du Zen

Editions JC Lattès, 1998 (traduit de Minding Mind, Shambhala Publications 1995)

3) Dương Đình H (dịch giả)

Cửa Không Cửa – Vô Môn Huệ Khai

Tủ sách Phật học Phước Quế, Arlington (USA)

4) Levering Miriam, Maryse et Shibata Masumi

Le monde du Zen - Images, textes et enseignements

Editions Gründ, Paris, 2007

5) Nguyễn Nam Trân (biên dịch)

Vô Môn Quan - Chữ Vô của phương Đông

http://chimviet.free.fr/vannhat/namtran/vomonquan/00-Mucluc.htm

hoặc http://chimviet.free.fr/vannhat/namtran/vomonquan/nnt_VoMonQuan0190310.pdf

6) Shibata Masumi (traduction et annotations)

Passe Sans Porte (Wou-men-kouan)

Editions Traditionnelles, Paris, 1963

7) Trần Tuấn Mẫn (dịch và chú)

Vô Môn Quan - Vô Môn Huệ Khai

Viện Nghiên cứu Phật học Việt Nam, 1995