Le bouddhisme tantrique du Tibet ou

Véhicule du Diamant (Vajrayāna)

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            Le bouddhisme a été introduit assez tardivement au Tibet, au 7è s. de notre ère, mais s’y est solidement implanté, résistant notamment à la vague musulmane qui a déferlé sur l’Asie Centrale et l’Inde dans les siècles suivants.

            Il a profondément imprégné la vie sociale et culturelle du Tibet, dans la forme particulière du bouddhisme tantrique, ou Vajrayāna.

            On utilise souvent les termes de bouddhisme tantrique, ou Vajrayāna, et de bouddhisme ésotérique, pour désigner le bouddhisme Tibétain. En fait, ces termes ne sont pas tout à fait synonymes.

            Vajrayāna (Véhicule du Diamant) vient de vajra, une arme mythique associé à Indra - le roi des dieux dans la mythologie hindoue -, et quiest inaltérable, indestructible (comme le diamant) et puissant (comme la foudre), et de yāna, véhicule.

            Le vajra est représenté par un objet en bronze aux extrémités en forme de fleur, utilisé lors des cérémonies religieuses.

            Le Vajrayāna est aussi appelé Guhyamantra (formules sacrées secrètes), d’où le qualificatif d’ésotérique.

            Le bouddhisme Tibétain a importé de l’Inde ses deux composants - le Mahāyāna indien, et le bouddhisme tantrique, ou Vajrayāna -, en y associant des éléments de l’ancienne religion autochtone Bön. Il faut noter que, malgré une notion répandue, le Vajrayāna ne fait pas partie à proprement parler du Mahāyāna.

            La particularité du bouddhisme Tibétain est d’associer tous ces éléments à la fois, pour constituer une forme spéciale de bouddhisme, qui est aussi pratiquée en Mongolie, dans d’autres pays himalayens comme le Népal, et dans certains pays d’Asie orientale, comme le Japon, avec l’Ecole Shingon.

            I. Aperçu de la géographie et de l’histoire du Tibet

            Appelé Böpar les Tibétains, autrefois Tǔbō ou Tǔfān par les Chinois(vn: Thổ Phiên ou Thổ Phồn), aujourd’hui Xīzàng(vn: Tây Tạng), le Tibet était un pays indépendant jusqu’en 1965 où, à la suite de son invasion par la Chine communiste, il fut annexé par celle-ci pour devenir l’une des 5 régions chinoisesdites « autonomes ».

            Géographiquement, il occupe une vaste étendued’1,2 M km2, soit 4 fois la France, pour une population de près de 4 M d’habitants, officiellement car on ne connaît pas le nombre réel de chinois récemment implantés.

           Autrefois, l’Empire Tibétain était 2 fois plus vaste, et composé de 3 régions: l’Ü-Tsang au centre et à l’ouest, l’Amdo au nord-est (correspondant à la quasi-totalité de la province chinoise Qīnghǎi) et le Kham à l’est (débordant sur les provinces Sìchuān et Yúnnán).

 

            Le Tibet actuel est bordé au nord et à l’est par les provinces chinoises Xīnjiāng, Qīnghǎi et Sìchuān, à l’ouest et au sud par l’Inde, le Népal, le Bhoutan et la Birmanie.        

 

            C’est le plus grand haut plateau du monde, d’une altitude moyenne de plus de 4000 m, entouré de gigantesques chaînes de montagnes culminant à plus de 8000 m, dont l’Himalaya bordant tout le sud, ce qui lui a valu les surnoms de « toit du monde » et de « pays des neiges ».

            Plus de la moitié du pays, au centre et au nord, est constituée d’un vaste plateau aride, balayé par les vents glaciaux, impropre à la culture, et pratiquement inhabité, en dehors de rares chasseurs.

            Le sud et l’est par contre, sont parcourues par de larges vallées fertiles, irriguées par le longfleuve Brahmapoutre et ses affluents, ainsi qu’à l’est par les cours supérieurs des fleuves Yángzǐ, Mékong et Salween. C’est dans ces vallées que se trouvent la plupart des villes tibétaines: Lhassa, la capitale, Shigatse et Gyantse au sud du Brahmapoutre, et Chamdo à l’est.

            Au-dessus de ces vallées s’étendent des prairies vallonnées, qui sont le domaine des nomades tibétains, avec leurs troupeaux de yaks et de moutons.           

            L’histoire du Tibet a commencé avec le royaume de Zhangzhung, situé à l’ouest du plateau tibétain et peuplé, dès le 5è s. avant notre ère, par des nomades éleveurs de bétail, pratiquant la religion animiste Bön. Vers le 2è s. avant notre ère, à partir de chefferies de tribus ou de petits royaumes peuplant les vallées du Brahmapoutre, s’est constituée une dynastie soumettant au fur et à mesure les autrespays, la dynastie de la vallée de Yarlung, comportant une trentaine de rois, plus ou moins mythiques.

            L’Empire Tibétain a véritablement émergé au 7è s., avec comme fondateur Songtsen Gampo,33èroi de Yarlung (c. 604 – 650), et auteur de nombreuses réformes: création de l’écriture tibétaine, transfert de la capitale à Lhassa, affirmation de la puissance du Tibet, à la fois par ses conquêtes militaires (du Zhangzhung, des Tuyuhun au nord-est, des tribus Qiang, au nord du Sìchuān) et par sa diplomatie (notamment mariage du roi avec une princesse chinoise et une princesse népalaise). Après sa mort, de nombreux conflits opposaient le Tibet et la Chine, avec des conquêtes de part et d’autre de larges territoires.

            Pendant le règne du roi Trisong Detsen (756–797?) au 8è s., l’Empire Tibétain devint encore plus puissant et étendu. Un Traité, définissant les frontières, fut signé entre le Tibet et la Chine des Táng,et renouvelé 40 ans après.

            Au début du 9è s., l’Empire Tibétain contrôlait un vaste territoire allant du Bassin du Tarim à l’Himalaya et au Bengale, des montagnes du Pamir aux provinces chinoises occidentales Gānsù, Sìchuānet Yúnnán.

            Mais après l’assassinat du roi Ralpachen par son frère Langdharma en 838, assassiné à son tour 4 ans après, l’Empire commençait à décliner et à se fragmenter en plusieurs territoires : l’Ü-Tsang au centre et à l’ouest, administré par le gouvernement Tibétain à Lhassa, le Kham et l’Amdo à l’est, plus décentralisés et divisés en groupes tribaux, souvent sous direction chinoise, et finalement annexés aux provinces chinoises attenantes.

            A partir du 15è s., l’histoire du Tibet fut liée à l’accession au pouvoir de l’Ecole Gelugpa, dirigée par le Dalaï Lama, et à ses relations avec les puissants voisins, la Mongolie et la Chine, à la fois soutiens et protecteurs, exerçant plus ou moins de pression. En 1911, lors de la révolution chinoise renversant la dynastie Qing des Mandchous, le 13è Dalaï Lama réussit à rétablir l’indépendance complète du Tibet, et ce jusqu’en 1951.

            La suite s’enchaîna rapidement: automne 1950, attaque de l’armée populaire chinoise ; 1951, pénétration des troupes chinoises à Lhassa ; 1956, grande révolte dans l’est du Tibet contre la domination chinoise ; 1959, soulèvement de Lhassa, réprimé dans le sang, fuite du Dalaï Lama en Inde ; 1965, administration directe de la Chine de la totalité du Tibet, devenue une Région dite « autonome ».

            II. Histoire du bouddhisme Tibétain

            La tradition Tibétaine fait mention de 2 périodes de diffusion du bouddhisme au Tibet.

            La première période, d’introduction du bouddhisme au Tibet, eut lieu au 7è s. de notre ère, grâce au roi Songtsen Gampo, qui influencé par ses deux épouses, chinoise et népalaise, se convertit au bouddhisme, et encouragea la traduction des textes bouddhiques sanskrit en tibétain.

            Mais la présence du bouddhisme au Tibet restait superficielle et limitée, jusqu’à la deuxième moitié du 8è s., où le roi Trisong Detsen fit du bouddhisme une religion d’Etat, et invita le moine indien Śāntarakṣita à établir le premier monastère à Samye, avec l’aide d’un maître indien du Vajrayāna, Padmasambhava, malgré l’opposition des religieux Bön-po.

            Vers la fin du 8è s. eut lieu, lors d’un Concile  à Lhassa (ou Samye), un débat opposant une délégation indienne, conduite par Kamalaśīla, disciple de Śāntarakṣita, à une délégation chinoise, conduite par un moine de l’EcoleChán. La discussion portait sur la question de l’éveil, « graduel » pour les indiens et « subit » pour les chinois, et la victoire aurait été remportée parles premiers, suivie par le bannissement des moines chinois du Tibet.

            Au 9è s., après l’assassinat du roi Ralpachen, considéré comme le « 3è roi religieux », le roi Langdarma fit interdire le bouddhisme et revenir à la religion Bön, mais fut assassiné à son tour par un moine.

            Cette première période de diffusion de bouddhisme, (7è au 9è s.), fut suivied’une période de persécution et de déclin du bouddhisme, en même temps qu’une fragmentation de l’Empire, et ceci pendant une centaine d’années.

            La deuxième diffusion débuta au 11è s., et consistait en un « retour aux sources », c-à-d à la tradition indienne, grâce à l’oeuvre du moine indien Atīśa.  Celui-ci, qui dirigeait l’Université monastique de Vikramaśīla, dans l’Etat du Bihar,fut invité à venir enseigner au Tibet. Versé aussi bien dans les philosophies du Madhyamaka et du Yogācāra que dans la pratique tantrique, il a toujours cherché à équilibrer les traditions exotériques et ésotériques, et à développer le monachisme bouddhique au Tibet, en créant notamment l’Ecole Kagampa.

            Enfin, au 14è s., Tsongkhapa fit une réforme monastique profonde, qui aboutira à la formation de l’Ecole Gelugpa.  Nous en reparlerons au chapitre des Ecoles bouddhiques Tibétaines.            

            III. Les bases philosophiques du bouddhisme Tibétain

            L’enseignement et la pratique du bouddhisme tibétain s’appuient sur 2 composantes philosophiquesassociées : 1) la « voie graduelle », conventionnelle du Grand Véhicule (Mahāyāna), et 2) la « voie ésotérique » du tantrisme bouddhique, ou Vajrayāna.

            Dans la « voie graduelle », l’Ecole du Milieu (Madhyamaka) a joué un rôle prédominant avec sa doctrine de la vacuité (śūnyatā).

            Rappelons qu’au moment de la première diffusion du bouddhisme au Tibet au 7è s., l’Ecole du Milieu était déjà divisée en 2 sous-Ecoles: le Prāsaṅgika, conduite par Candrakīrti, et le Yogācāra-Svātantrika, conduite par Śāntarakṣita (cf. Cours 17 sur le Madhyamaka).

            Celui-ci était l’un des premiers moines érudits à venir au Tibet au 8è s., et avec son élève Kamalaśīla, enseignait une synthèse des philosophies du Madhyamaka et du Yogācāra (Ecole Rien-que-Conscience). Mais ultérieurement, devant l’influence grandissante de Candrakīrti, considéré au Tibet comme le véritable successeur de Nāgārjuna, le Yogācāra est passé au second plan, tout en se transposant au Vajrayāna, qui devint la « voie suprême » au Tibet.

            La doctrine de la vacuité enseignée par l’Ecole du Milieu est interprétée de façon diverse par les différentes Ecoles bouddhiques Tibétaines :

            1) Le premier point de vue, assez influent pendant un certain temps, est celui de Dölpopa, chef de l’Ecole Jonang, au14è s. La vacuité est appeléeshentong (« vacuité de ce qui est autre »), c’est-à-dire que la réalité est vide de tout ce qui est autre qu’elle-même. Tous les phénomènes sont vides-de-soi, mais la vérité ultime existe vraiment.

            2) Le deuxième point de vue, critiquant le précédent, est celui de Tsongkhapa, fondateur de l’Ecole Gelugpa au14è s. Il appelle la vacuité bden stong (« vacuité de véritable existence »), ce qui veut dire une « absence de véritable existence ». Il s’appuie ainsi sur la philosophie du Prāsaṅgika, qui pour lui estla seule interprétation correcte du Madhyamaka. L’apparence est toujours la vérité relative, et la seule vérité absolue est la vacuité, et seulement la vacuité. C’est le véritable sens de la Voie du Milieu, évitant les deux extrêmes de l’éternalisme et du nihilisme.

            3) Le troisième point de vue est celui de Mipam, représentant l’Ecole Nyingmapa (fin 19è - début 20è s.). La vacuité est appeléerangtong (« vacuité-de-soi »), c’est-à-dire qu’il n’y a pas de véritable essence dans les choses, et que rien n’existe de façon ultime, même si les phénomènes existent conventionnellement.

            Ainsi, il peut y avoir 3 interprétations différentes de la vacuité de l’Ecole du Milieu. Mais malgré cela, il reste un point commun fondamental, qui est la distinction entre l’apparence et la réalité, c-à-d la doctrine bouddhique des « deux vérités, relative et absolue ».

            Un autre courant du Grand Véhicule, exprimé dans plusieurs sūtra dits tardifs, est celui du « tathāgatagarbha »(« embryon ou matrice du ‘tathāgata’ », c’est-à-dire de Bouddha). « L’embryon de Bouddha » est aussi synonyme de « nature-de-Bouddha » (buddha-dhātu).

            D’après cette théorie, qui va gagner plus particulièrement le Vajrayāna, chaque être sensible possède en lui une « nature-de-Bouddha » cachée, qui ne demande qu’à se révéler, ou bien est un « embryon de Bouddha » en devenir.

            IV. Le Tantrisme et le Bouddhisme tantrique

            A) Le Tantrisme, terme inventé en Occident et dérivé du mot sanskrit tantra, désigne un ensemble de doctrines philosophiques et de pratiques rituelles, tirant son origine du Védisme, religion très ancienne de l’Inde du nord.

            Tantra signifie « fil,  chaîne de tissage », et par extension « méthode, doctrine ».

            Dans ce système, on considère comme base de l’univers les deux principes « masculin » et « féminin », symbolisés respectivement par le lingam et le yoni, et par les déités Shiva et Shakti, parfois représentés par leur image d’union mystique.

            C’est une voie de transformation de l’être dans son intégralité, passant par le corps et tous les sens, et visant la délivrance (mokṣa).

            La sensualité (kāma), qui est l’énergie du monde, est intégrée à la spiritualité et aux forces de l'univers, et cela grâce à la pratique de rituels et d'exercices yogiques.

            On distingue deux types de tantra, le tantra de la main droite, ou tantra blanc, qui utilise des moyens orthodoxes; et le tantra de la main gauche, ou tantra rouge, utilisant des moyens spéciaux, qui peuvent être jugés impurs.

            B) Le Bouddhisme tantrique

            A partir de cette base, s’est développé un tantrisme propre au bouddhisme,à partir du 4è s., au nord-est et à l’est de l’Inde,et a commencé à diffuser au Tibet au 7è s., grâce à des maîtres Indiens, comme Padmasambhava, puis des maîtres Tibétains formés en Inde.

            Le Vajrayāna prétend avoir été enseigné par le Bouddha Sākyamuni lui-même et tenu secret pendant des siècles, avant d’être transmis à certaines personnes prédisposées. C’est le cas, d’après la tradition Tibétaine, des 84 mahāsiddha (c-à-d des « grands accomplis »), qui après leur éveil et la révélation par des déités tantriques, ont transmis en secret leur enseignement de maître à disciple.

            Cette transmission de maître à disciple est caractéristique du bouddhisme tantrique : le pratiquant, appelé tantrika, doit recevoir une initiation ou « consécration » (abhiṣeka) et une instruction directement par un maître (guru ou lama), qui est aussi un maître du tantra.

            Les Tantra sont présentés comme relevant d’un niveau supérieur, constituant la troisième roue du Dharma, alors que les Petit et Grand Véhicules ne seraient que les première et deuxième roues. Ils conduiraient plus rapidement les pratiquants à l’éveil et à la délivrance, en utilisant beaucoup plus de moyens habiles.

            Les tantra sont généralement classés hiérarchiquement en 4 classes : 1. action (kriyā), 2. performance (caryā), 3. yoga, et 4. yoga suprême (anuttarayoga).

            La pratique des tantra inférieurs est centrée sur les rituels et liturgies, dirigés vers les divinités et les Bouddha tantriques (Vairocana, Akṣobhya, Amitābha, Ratnasambhava et Amoghasiddhi). A un stade supérieur (caryā et yoga), on développe des visualisations et méditations sur des « déités choisies » (appelées yi-dam) et les Bouddha. En s’identifiant progressivement à ces déités, on cultive la sagesse, la compassion et d'autres qualités spirituelles. C’est en ce sens que l’on peut dire que le bouddhisme tantrique est une méthode d’éveil à travers l’identification avec des déités tantriques.  

            Les tantra supérieurs se concentrent de plus en plus sur une théorie élaborée du yoga suprême, impliquant une physiologie complexe du corps subtil, que le pratiquant apprend à maîtriser afin de le transformer en « corps de Bouddha ».

            Un autre aspect du Bouddhisme tantrique, comme du tantra en général, est que c’est une philosophie enracinée dans le corps, considérant le corps, siège des sensations et des émotions, comme fondamental dans la voie de l’éveil, et conduisant ainsi à une approche intégrée du corps et de l’esprit.

            S’appuyant sur ce principe, certains préconisent d’associer la pratique du tantra du yoga suprême à l’union sexuelle avec un conjoint, le symbolisme sous-jacent étant l'union de la sagesse (féminine) et de la compassion (masculine). Cette pratique peut également être effectuée sous forme de visualisation, ce qui est le cas des moines ordonnés, dont l’un des principaux préceptes est la chasteté. D’après ses partisans, « le but n'est pas l'alimentation du désir mais sa transformation et son éradication finale ».

            La pratique de ce tantrisme ésotérique très particulier aurait pu être à l’origine de plusieurs scandales et délits sexuels commis par des lamas en Occident, suivis de la condamnation formelle et de la mise en garde par les autorités religieuses et la grande majorité des bouddhistes.

            V. Les Ecritures bouddhiques Tibétaines

            Les Ecritures bouddhiques Tibétaines comportent deux collections canoniques : le Kanjur (« traduction des paroles du Bouddha ») et le Tenjur (« traduction des traités »).             1) Le Kanjur a été composé au début du 14è s., afin de colliger l’énorme quantité de sūtra traduits du sanskrit en tibétain entre le 7è et le 13è s. Ilexiste dans plusieurs éditions différentes, et comprend 700-800 textes, édités en une centaine de volumes.

            L’énorme collection des sūtra, quasi-exclusivement Mahāyānistes, occupe le tiers du Kanjur ; s’en suit la collection des Tantra, qui en occupe le 1/5, puis le Vinaya le 1/8.

            2) Le Tenjur contient plus de 3500 textes, édités en plus de 200 volumes, faits essentiellement de traductions de Commentaires et de Traités Indiens, incluant ceux des Ecoles Sarvāstivāda, Madhyamaka et Yogācāra.

            VI. Les Ecoles du bouddhisme Tibétain

            Les Ecoles du bouddhisme Tibétain correspondent à des lignées particulières d'enseignement, transmises de maître à disciple.

            Quatre principales Ecoles subsistent de nos jours, avec un certain nombre de subdivisions.

            On les appelle « Coiffes rouges » ou « Coiffes jaunes », suivant la couleur de leurs coiffes ou bonnets. Trois Ecoles ont des « Coiffes rouges » : Nyingmapa, Kagyüpa et Sakyapa ; la quatrième des « Coiffes jaunes » : Gelugpa.

            1) La lignée Nyingmapa est la plus ancienne, remontant à la première diffusion du bouddhisme au Tibet, et à la figure légendaire de Padmasambhava (« né du Lotus »), vénéré par les Tibétains sous le nom de Guru Rimpoché (« Précieux Maître »), et dont les enseignements étaient considérés comme des « trésors cachés », trouvés et enseignés par la suite par des « découvreurs ».

            Les enseignements du Bouddha sont classés selon elle, en 9 « véhicules » : les 3 premières sont les véhicules conventionnels du Disciple, du Bouddha Solitaire et du Bodhisattva ; les 3 suivantes concernent la pratique tantrique inférieure ; les 3 dernières concernent la pratique tantrique supérieure, appelée Dzogchen  (« grand accomplissement »), considérée comme la réalisation de la pureté primordiale et spontanée de l’esprit.

            Les  Nyingmapa sont des experts en tantra, mais font des études moins poussées dans les Ecritures.

            L’Ecole Nyingmapa est caractérisée par une forte tradition d’enseignants tantriques laïcs appelés Ngagpa, pouvant se marier et avoir des enfants, portant traditionnellement une robe blanche et des cheveux non coupés.

            2) La lignée Kagyüparemonte au yogin Indien Nāropa (11è s.) et des enseignements de Marpa (dit « le Traducteur »), puis de Milarépa, célèbre ermite et poète du Tibet, et de Gampopa (11è-12è s.).

            Leur enseignement de la « voie graduelle » vient de la tradition Kagampa d’Atīśa, alors que leur enseignement tantrique est centré sur Mahāmudrā (le « grand sceau »).

            Les Kagyüpa ont tendance à être austères, observent strictement les préceptes monastiques et pratiquent un type de méditation proche du Chán. Beaucoup de ses membres passent une grande partie de leur vie à méditer dans des grottes, en solitaire.

            L’Ecole Kagyüpa a engendré des sous-écoles variées. La sous-école Karma-kagyü est dirigée par un enseignant au titre de Karmapa.

            Le premier, Düsum Khyenpa (12è s.), aurait prédit la manière et les circonstances de sa future renaissance, de façon à ce que son tulku puisse être identifié chez un enfant né après sa mort, et installé comme le prochain Karmapa. Cette coutume, spécifique du bouddhisme Tibétain, de la recherche de tulku de certains grands maîtres disparus, est partagée par les 4 Ecoles, avec comme exemples les plus connus le Dalaï-lama, le Panchen-lama (« Grand Erudit », 2nd dans la hiérarchie du bouddhisme tibétain) et le Karmapa.

            3) La lignée Sakyapa a été fondée au monastère Sakya au sud-ouest du pays, par Khön Könchog Gyalpo. C’est une lignée de yogins mariés de la famille Khön, transmettant l’enseignement de père en fils ou d’oncle à neveu.

            Du début du 12è s. au milieu du 14è s., la lignée Sakyapa jouit d’une influence politique considérable au Tibet, avec 5 « grands maîtres » reconnus, le plus important étant Sakya Paṇḍita (13è s.).

            L’enseignement est double : la voie graduelle des sūtra repose sur l’« abandon des 4 désirs » (de vie, du cycle de l’existence, de soi, d’attachement), qui aurait été inspiré par le Bodhisattva de la sagesse, Mañjuśrī, au 2nd des grands maîtres ; et l’enseignement combiné de sūtra et tantra appelé « Voie et Fruit », remontant à l’enseignement d’un yogin tantrique du 9è s., faisant partie de 84 siddha.

            De toutes les « Coiffes rouges », c’est la plus proche de la lignée suivante, Gelugpa.

            4) La lignée Gelugpaest la plus récente mais aussi la plus puissante, en devenant politiquement dominante au Tibet.

            Fondée au 14è s. par le moine érudit et réformateur Tsongkhapa, elle se réclame héritière de la tradition Kagampa d’Atīśa, et réaffirme son monasticisme en mettant l’accent sur la discipline monastique (la plupart des lamas sont des moines) et les études des Ecritures, notamment sur l’enseignement du Madhyamaka, alors que les tantra ne sont abordés qu’à la fin du programme d’études.

            Ses enseignements des sūtra et tantra sont basés sur deux principales oeuvres de Tsongkhapa : « La grande voie graduelle », un commentaire sur la « Lampe » d’Atīśa, et « La grande voiedes mantra ».

            Une méthode de méditation, appelée tonglen (= donner, recevoir), faisant partie du lojong, ou entraînement de l’esprit au bodhicitta (esprit d’éveil), est souvent utilisée. En inspirant, on accepte et prend sur soi les souffrances d’autrui, et en expirant, on lui envoie l’amour bienveillant et la paix.  

            A la tête de l’Ecole était traditionnellement le chef du monastère de Ganden, fondé par Tsongkhapa, mais cette position a été progressivement éclipsée par le chef du monastère de Drepung, appelé Dalaï-Lama. Ce titre remontait au 16è s. et était dû aux relations entre le Gelugpa et la Mongolie, dont le dirigeant à l’époque, Altan Khan, a déclaré que Sonam Gyatso, 3è réincarnation du chef des Gelugpa, était un « Océan de Sagesse » (Dalaï = océan, en mongol).  

            Depuis 1640, son chef, le Dalaï-Lama, est considéré comme le chef politique et religieux du Tibet, et la branche Gelugpa comme « l’Eglise établie ». Néanmoins, les Tibétains ont libre accès aux maîtres et aux enseignements de toutes les branches. En Mongolie, presque tout le monde est Gelugpa.

            Voici un tableau récapitulatif de ces 4 Ecoles bouddhiques du Tibet :

 

 

            VII. La pratique du bouddhisme Tibétain

            Au centre de la pratique du Vajrayāna se trouve, comme nous l’avons dit, la méditation :

            - sur des déités, des Bouddha (Vairocana, Amitābha, Akṣobhya, Ratnasambhava et Amoghasiddhi, dits les « cinq Bouddha de méditation »), et des Bodhisattva (Avalokiteśvara, Mañjuśrī, Samantabhadra...);

            - ou bien avec la méthode tonglen, en accueillant la souffrance des autres et en leur envoyant l’amour bienveillant et la paix.

            Pour s’y aider, de nombreux moyens habiles (upāya kausalya) peuvent être utilisés, comme :

            - la visualisation de yantra et de mandala, figures géométriques, cercles ou diagrammes, représentant les mondes des Bouddha et Bodhisattva et leur énergie cosmique ;

            - la récitation de mantra et de dhāraṇī, syllabes ou textes sacrés, censés protéger grâce à leur énergie cosmique ;

            - et l’utilisation de mudrā, gestes rituels avec les mains ou le corps, symbolisant les qualités des Bouddha et Bodhisattva.

            Les autres moyens sont les prières, les études des Ecritures sacrées, les enseignements par des lama,ayant parfois le titre de rinpoché (« maître précieux ») ou de gueshé (« docteur enseignant »), et les exercices de débats philosophiques entre moines.

            L’environnement et le décor des monastères, le son de divers instruments de musique, les danses rituelles, les moulins et tambours de prière, les prosternations répétées, tout cela crée une atmosphère de ferveur religieuse rarement rencontrée ailleurs.

            Conclusion

            On peut dire que le bouddhisme tantrique du Tibet, ou Vajrayāna (Véhicule du Diamant), occupe une place tout à fait particulière au sein du bouddhisme.

            D’une part parce qu’il est impossible de le dissocier du pays où il s’est développé, et dont il fait partie intégrante de la culture. Peut-on imaginer un Tibet sans monastère, sans moine, sans drapeaux mantra, sans moulins à prières?...

            D’autre part, parce qu’il représente le dernier stade de développement du bouddhisme, associant à la « voie graduelle » du Mahāyāna, des méthodes spéciales, intégrant le corps et l'esprit, plus ou moins ésotériques du Tantra.

            Comme le bouddhisme indien qui a décliné en Inde, mais largement essaimé ailleurs, le bouddhisme tibétain, aujourd’hui réprimé dans le Tibet occupé, continuera sans doute à fleurir dans le monde, et pour longtemps.

 

                                                                                                          Trinh Dinh Hy

                                                                                                          25/09/2022

 

Références

1) Empire du Tibet - Wikipédia

https://fr.wikipedia.org/wiki/Empire_du_Tibet

2) Blofeld John

Le bouddhisme tantrique  au Tibet, Edit du Seuil, 1976

3) Kvaerne Per

Le Tibet : grandeur et décadence d’une tradition monastique, in « Le monde du bouddhisme », sous la direction de Bechert Heinz et Gombrich Richard, Edit Thames & Hudson, 1999

4) Gethin Rupert

The Foundations of buddhism, Oxford University Press, 1998

5) Douglas Duckworth

Tibetan Mahāyāna and Vajrayāna, in « A Companion to Buddhist Philosophy », Edited by Steven M. Emmanuel, John Wiley & Sons, Inc., 2013